Questions... de bonne entente

Demandes anticipées d’aide médicale à mourir
un parcours parsemé d’embuches

Michel Desrosiers | 1 juin 2025

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On vous sollicite pour participer à l’évaluation de patients qui veulent faire une demande anticipée d’aide médicale à mourir ou pour administrer l’aide médicale à mourir à un patient qui a fait une demande il y a un certain temps ? Ces services sont bien différents de la demande pour recevoir l’aide médicale à mourir à court terme (appelée « demande contemporaine » dans la loi). Et il y a des risques pour vous aussi. Saisissez-vous bien les enjeux ?

Le Dr Michel Desrosiers, omnipraticien et avocat, est directeur des Affaires professionnelles à la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec.

Les demandes anticipées d’aide médicale à mourir ont été autorisées à la fin octobre 2024 sans que le Code criminel ait évolué à la même vitesse. Tout en disant avoir l’intention de respecter les intentions du Québec, Ottawa dit qu’il aurait été préférable que le Québec attende la modification de la loi fédérale. Quels problèmes découlent de cette réalité ?

De façon générale, donner la mort à quelqu’un ou y participer est une activité interdite par le Code criminel. Il y a toutefois des degrés de gravité selon les intentions de la personne qui commet le geste. Il y a aussi des exceptions, soit lorsque le geste causant la mort se fait dans le cadre de situations décrites dans la loi, comme l’administration de l’aide médicale à mourir à une personne qui y consent et dans le respect des conditions énoncées dans la loi. Pour l’instant, la loi fédérale ne permet pas le consentement par anticipation. Actuellement, la personne doit avoir été évaluée comme apte à consentir, et son consentement doit être confirmé immédiatement avant l’administration de l’aide médicale à mourir. Depuis la modification récente de la loi québécoise, un tel processus est décrit au Québec comme une « demande contemporaine d’aide médicale à mourir ».

Demandes à court terme

Pour les demandes à court terme, le cadre québécois de la loi diffère un peu de la loi fédérale, mais la respecte, tant que le professionnel participant satisfait aux quelques exigences additionnelles de la loi fédérale. Dans la mesure où il suit le fonctionnement énoncé, le médecin est à l’abri des poursuites criminelles. L’évaluation de la conformité se fait par le Collège des médecins ou par la Commission sur les soins de fin de vie. En cas de dissension au sein d’une famille, le principal intéressé est en mesure de trancher et de manifester sa volonté.

Le risque pour le médecin est de mal évaluer l’aptitude du patient. Il y a toutes sortes de précautions dans le processus pour éviter des problèmes, notamment l’obtention de l’avis d’un deuxième médecin. Bref, ça ne semble pas poser de problèmes particuliers si le médecin est à l’aise avec ce genre de service.

Demandes anticipées

La loi fédérale ne permet pas l’administration de l’aide médicale à mourir sur la foi d’une demande anticipée, du moins présentement. La loi québécoise, quant à elle, prévoit deux étapes : une première pour l’évaluation et le consentement anticipé et une deuxième pour l’administration. Les deux étapes sont séparées par un intervalle de temps variable (de plusieurs mois, voire de plusieurs années) selon l’évolution de l’état du patient. Du fait de ce délai, le médecin qui admi­nis­trera l’aide médicale à mourir n’aura probablement pas participé à l’évaluation initiale. On parle donc de deux processus distincts.

La demande anticipée d’aide médicale à mourir est un service particulier du fait que le Code criminel ne reconnaît pas encore le consentement par anticipation à l’administration de l’aide médicale à mourir.

Le but du processus est de permettre au patient de manifes­ter son consentement par anticipation à un moment où il est apte à le faire. Ainsi, lorsqu’il deviendra inapte en raison de l’évolution de sa maladie, les professionnels de la santé se fieront sur le consentement donné auparavant. Le médecin qui reçoit une telle demande et accompagne un patient pour inscrire sa demande au registre de la RAMQ rend service au patient. Après tout, si ce dernier devient inapte sans avoir fait une demande anticipée, il ne pourra pas recevoir l’aide médicale à mourir et devra endurer la souffrance qui découle de l’évolution de sa maladie. S’il a fait une demande anticipée lorsqu’il était apte, il peut espérer recevoir l’aide médicale à mourir une fois inapte, bien que ce ne soit pas assuré en raison des difficultés évoquées ci-après.

« Refus » par le patient lors de l’administration

Il arrive que des patients inaptes réagissent à différents stimulus, comme la pose d’un accès veineux pour administrer l’aide médicale à mourir. Certaines réactions sont caractéristiques d’une situation donnée, quel que soit le contexte, d’autres sont propres à un patient donné. Certains ont, par exemple, des réactions de retrait systématiques à toute piqûre. Devant une telle réaction, il reviendra au médecin de juger s’il s’agit d’une réaction automatique liée à la nature de la maladie du patient ou si ce dernier manifeste ainsi son refus de l’aide médicale à mourir.

Le « refus » du patient inapte lors de l’administration crée des risques pour le médecin qui doit décider s’il cesse le processus ou interprète les gestes comme des manifestations de la maladie du patient plutôt qu’un refus.

Cette évaluation place le médecin dans une situation difficile. L’évaluation du patient et du sens à donner à ses réactions au moment de l’administration se fera sans doute en présence des membres de la famille. Ces derniers peuvent comprendre différemment les réactions de leur père ou de leur mère, et cette lecture peut varier dans le temps. L’enfant qui avait des doutes, mais qui s’est laissé convaincre, peut par la suite revenir sur son idée initiale et interpréter les réactions de son parent comme un refus de l’aide médicale à mourir. À l’inverse, l’enfant convaincu que son parent refuse l’aide médicale à mourir peut par la suite avoir l’impression qu’il a mal évalué la situation et changer d’idée. Il en découle deux problèmes possibles.

  • Si le patient refuse l’administration, la loi prévoit que le médecin doit retirer la demande anticipée d’aide médicale à mourir du registre de la RAMQ, ce qui veut dire que le patient ne pourra recevoir l’aide médicale à mourir, tant dans l’immédiat que dans l’avenir. Son refus devient définitif. N’étant plus apte, il ne peut pas faire une nouvelle demande anticipée, ni une demande à court terme.
  • Si le patient ne refuse pas, le médecin peut aller de l’avant tant que la situation correspond à celle de la demande : patient inapte, souffrant de façon incontrôlable et ayant les manifestations décrites dans sa demande anticipée qui permettent de dire qu’il consent à l’administration.
  • Si le patient a des gestes qui peuvent être interprétés comme un refus et que les membres de la famille ont des perceptions discordantes, le médecin est à risque, quoi qu’il fasse. S’il procède à l’aide médicale à mourir, l’enfant en désaccord pourrait déposer une plainte criminelle. S’il conclut que le patient refuse l’intervention, n’administre pas l’aide médicale à mourir et retire la demande anticipée, l’enfant convaincu que son parent ne la refusait pas pourrait aussi se plaindre ou intenter une poursuite civile du fait que son parent a perdu à tout jamais le droit à l’aide médicale à mourir dont il souhaitait bénéficier, ce qui le condamne à une souffrance inutile et prolongée. Dans la deuxième situation, il n’y a pas de risque de poursuite criminelle. C’est donc un choix moins risqué pour le médecin. De plus, ce dernier atténuera probablement quand même la souffrance du patient, notamment par la sédation palliative continue plutôt que par l’administration de l’aide médicale à mourir. Ce moyen traite la douleur du patient, tout en réduisant au minimum les risques de poursuite civile ou criminelle.

« Protection » contre une poursuite criminelle

Outre le refus possible lors de l’administration, il existe un autre problème fondamental, soit le fait que le Code criminel ne prévoit pas d’exception pour l’administration de l’aide médicale à mourir à une personne inapte sur la base d’un consentement anticipé. Afin d’éviter des poursuites criminelles contre le médecin administrateur, le ministre de la Justice du Québec a émis une directive au directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) de ne pas poursuivre un médecin qui administre l’aide médicale à mourir et qui respecte intégralement ce qui est prévu à la loi sur les soins de fin de vie. Cette directive permet aussi au directeur de ne pas autoriser une poursuite criminelle privée (ex. : par un membre de la famille).

Toutefois, si un des membres de la famille se plaint que vous n’avez pas respecté le « refus » du patient lors de l’administration, la situation est jugée par une personne sans formation médicale, soit le DPCP, et non par le Collège ni par la Commission des soins de fin de vie. Si le DPCP est d’avis que vous n’avez pas respecté le fonctionnement, en plus d’une possible poursuite civile, vous vous exposez à une poursuite criminelle.

L’autre problème avec la directive est qu’elle émane de l’actuel ministre de la Justice. Si l’attitude de la population ou du gouvernement envers la demande anticipée d’aide médicale à mourir changeait, la directive pourrait tomber. Et il ne faut pas oublier qu’il n’y a pas de délai de prescription pour les accusations de meurtre au Canada. En effet, un individu ayant tué quelqu’un peut être poursuivi indéfiniment. Si un changement de gouvernement devait se produire, le résultat est donc incertain. Ce n’est pas surprenant que le ministre fédéral ait indiqué publiquement qu’il serait préférable que le Québec attende les modifications au Code criminel.

Les premiers cas d’administration de l’aide médicale à mourir en fonction d’une demande anticipée n’auront pas lieu avant plusieurs mois. On peut donc espérer que les difficultés évoquées se régleront d’ici là.

Décrire les manifestations permettant de conclure que l’AMM est voulue

Outre les risques de poursuite, il existe d’autres difficultés inhérentes aux demandes anticipées d’aide médicale à mourir. Lorsque le patient en fait la demande, le médecin doit se projeter dans l’avenir et imaginer les manifestations futures possibles de la maladie qui pourront entraîner des souffrances physiques ou morales que la personne ne veut pas vivre. Ces manifestations doivent être objectives et observables par un tiers qui n’a pas participé à la demande anticipée du patient, car l’aide médicale à mourir pourrait être appliquée plusieurs années après. Au moment de la demande initiale, il serait donc prudent de vérifier l’attitude et la perception des membres de la famille à l’égard de la demande et des symptômes.

Le même processus devra être repris lorsque viendra le temps de procéder à l’aide médicale à mourir découlant d’une demande anticipée. Le patient étant inapte, on ne peut plus se fier à lui pour trancher la dissension au sein de la famille. Un peu de prévention peut éviter bien des problèmes lors de l’administration ou par la suite.

Communication systématique avec l’ACPM

Vous devriez systématiquement communiquer avec l’ACPM avant de participer au processus d’évaluation d’une demande anticipée et à l’administration de l’aide médicale à mourir dans ce contexte. En plus des défis cliniques que pose ce processus, il faut être bien conscient des enjeux légaux et s’assurer de bien les comprendre avant d’accepter.

Même si vous avez accompagné un patient dans ce processus par le passé, le cadre juridique va évoluer. Il est donc prudent de s’informer auprès de l’ACPM lors de chaque demande, du moins d’ici à ce que la loi change.

Le gouvernement a jugé qu’il était préférable de ne pas attendre des modifications au Code criminel. À votre tour de déterminer si vous êtes à l’abri de problèmes légaux éventuels et si vous souhaitez participer au processus. À la prochaine ! 

La directive du ministre de la Justice a ses limites, soit l’évaluation de la conformité d’un processus médical complexe par un non-médecin et le fait qu’une telle directive est sujette à des changements au gré des gouvernements.