Le perfectionnement professionnel est à l’aube d’une nouvelle ère : celle de la « formation axée sur les données ». Appelé Precision Education en anglais, ce modèle s’appuie sur la technologie et les données pour personnaliser l’apprentissage et le rendre plus efficace. Il pourrait être une solution à l’explosion des connaissances médicales.
L’Association médicale américaine (AMA) commence déjà à recourir à cette approche. Elle a ainsi créé un projet basé sur les données du dossier médical électronique (DME). « Le système regarde à l’avance les patients que le médecin va voir en consultation, les place dans le contexte de sa pratique et lui propose, avant même la rencontre, des ressources d’apprentissage susceptibles de l’aider à mieux se préparer, à être plus efficace et plus sûr de lui », explique la Dre Kim Lomis, vice-présidente des Innovations en formation médicale à l’AMA, dans une interview accordée en mars et qui se trouve sur le site de l’organisme1. La Dre Lomis lançait alors le programme de subventions « Transformer l’apprentissage à vie par la formation axée sur les données » offrant dix bourses de 1,1 million de dollars chacune.
Cette nouvelle méthode constitue l’avenir, estime le Dr Sanjay Desai, l’un de ses créateurs, également directeur de la formation à l’AMA. « La personnalisation en médecine et dans la formation médicale est très importante, parce que le modèle actuel est celui d’un enseignement identique pour tous », a-t-il précisé dans l’entrevue du site de l’AMA à laquelle il participait également1.
Éléments clés de la formation axée sur les données
La formation basée sur les données consiste en un cycle comprenant quatre éléments : les données, les constats, les interventions et les résultats. Ces derniers peuvent ensuite être utilisés comme données pour lancer un nouveau cycle.
La méthode peut être employée par des personnes, mais aussi pour des programmes et des organismes, précisent le Dr Desai et ses collègues, dans un article publié l’an dernier dans Academic Medicine2.
1) Les données
Les données dont le médecin dispose pour planifier sa formation continue deviennent de plus en plus nombreuses. Au Québec, il a déjà accès à celles du DME, mais il pourrait aussi éventuellement obtenir celles du réseau de la santé et de différents organismes. Le médecin peut également se servir de ses évaluations, notamment celles d’activités de formation. Une fois ces données en main, il peut les analyser.
La Faculté de médecine de l’Université de New York utilise ce type d’approche pour déterminer les besoins de formation des étudiants qui entrent en résidence. « Le système analyse les données granulaires de leur externat, dont les types de patients vus et les maladies traitées, ainsi que les évaluations de leurs compétences, et corrèle le tout avec les mesures d’auto-évaluation, les compétences attendues et l’importance prévue de l’exposition pendant la résidence », expliquent le Dr Desai et son équipe dans leur article.
L’analyse des données permet ainsi tant au médecin qu’aux organismes de dresser des constats pour orienter les plans de formation.
2) Les constats
Le médecin doit ensuite planifier ses activités de perfectionnement. « Sur le plan individuel, de telles interventions comprennent des programmes de formation personnalisés suivis au moment opportun », précisent les chercheurs.
Certaines facultés de médecine se basent déjà sur les constats pour individualiser leur formation. Ainsi, à l’Université de New York, si un étudiant en médecine hospitalise un patient souffrant d’insuffisance cardiaque aiguë décompensée n’a pas vu, selon le système, suffisamment de cas, ce dernier peut lui proposer en temps réel une formation en ligne portant sur les bases du diagnostic de l’affection et de l’examen.
3) Les interventions
Les activités de formation prévues doivent ensuite être suivies, idéalement dans un cadre permettant au médecin d’obtenir une rétroaction. L’apprentissage de ce dernier doit d’ailleurs être évalué. Cet aspect est également crucial en formation prédoctorale. « Les enseignants doivent mener des évaluations aussi régulièrement que possible, en utilisant les nombreuses données disponibles dans les environnements cliniques et pédagogiques pour offrir une rétroaction en temps réel », mentionnent les auteurs.
4) Les résultats
Grâce à l’évaluation, le médecin dispose de résultats. Il peut ainsi faire des ajustements à partir des lacunes qui ressortent et des objectifs non atteints. Ces données peuvent constituer le point de départ d’un nouveau cycle de formation.
Une nouvelle solution

Directrice de la Formation professionnelle à la FMOQ, la Dre Isabelle Noiseux trouve extrêmement intéressant ce nouveau modèle basé sur les données. « La complexité de la pratique médicale est exponentielle. Comment faire face à cette multiplication des connaissances ? Les formations axées sur les données vont permettre de mieux cibler les besoins. »
Il s’agit en fait « d’apprentissage juste à temps », précise la directrice. Le système fournit au médecin des ressources en formation au moment précis où il en a besoin, plutôt qu’à l’avance. Ce type de système pourrait bientôt être possible au Québec. « On nous a dit que l’intelligence artificielle pourrait éventuellement être incorporée à nos DME. Ainsi, on pourra lier la formation à nos dossiers. »
Idéalement, selon le Dr Desai et ses collègues, l’apprentissage reposant sur les données doit s’insérer dans le flux de travail clinique. La Dre Noiseux applaudit l’idée. « Si chaque fois que l’on voit des patients, que l’on prend une décision, on peut avoir un retour sur ce que l’on fait, on va obtenir une formation très personnalisée et avoir beaucoup plus d’assurance dans notre pratique. En outre, si de nouveaux besoins émergent, les données seront là pour nous aider. »
Le système pourrait même faire un suivi. « Si l’on a acquis de nouvelles notions liées à un patient grâce à un algorithme décisionnel, le DME pourrait faire des rappels. Par exemple : avez-vous réutilisé cette information pour d’autres patients ? Avez-vous besoin d’une formation supplémentaire ? »
« La personnalisation en médecine et dans la formation médicale est très importante parce que le modèle actuel est celui d’un enseignement identique pour tous » – Dr Sanjay Desai
INESSS et Santé publique
Déjà, différentes données sont offertes aux médecins. Ainsi, l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux propose aux cliniques un outil appelé Repères GMF qui leur fournit un rapport contenant des renseignements sur leur clientèle. Il leur présente aussi des informations sur les meilleures pratiques, des pistes d’amélioration potentielles et des ressources disponibles (https://bit.ly/43ujWB5).
« La Fédération a conçu une activité pour aider les médecins à tirer parti de ce rapport. Ils se rencontrent en groupe, analysent leur patientèle, regardent la performance de leur clinique et peuvent ensuite suivre des formations adaptées à leurs patients. C’est exactement de la formation axée sur les données », estime la Dre Noiseux.
La Santé publique produit, elle aussi, des statistiques intéressantes. « Nous sommes en train de faire un projet pilote dans lequel des GMF recevront les données dont elle dispose sur leur quartier ou leur région. Les médecins de ces cliniques pourront ainsi améliorer leur formation et mieux servir leur patientèle. »
L’importance de l’humain
L’apprentissage ne peut toutefois être que données, analyses, constats et évaluations. « On a également besoin d’un être humain avec qui l’on peut partager et échanger. La médecine, c’est tellement plus que l’assimilation de connaissances. C’est aussi un art. Si l’on ne veut pas perdre cette dimension, il faut garder le côté relationnel et humain dans la formation. Il faut tenir compte du fait que les données brutes doivent être mises en contexte dans la réalité du patient », souligne la Dre Noiseux.
Le Dr Desai et ses collègues, pour leur part, insistent beaucoup sur l’importance du coaching dans l’apprentissage. « Il est essentiel pour fournir une rétroaction et accroître la participation de l’apprenant et la personnalisation de la formation », soulignent-ils.
« Comment faire face à cette multiplication des connaissances ? Les formations axées sur les données vont permettre de mieux cibler les besoins. » – Dre Isabelle Noiseux
Bâtir un système axé sur les données
La formation basée sur les données est l’avenir. Mais elle comporte des défis. « Les plus grands que je vois sont liés à l’analyse, au partage et à la sécurité des données, affirme la Dre Noiseux. Actuellement, les systèmes ne sont pas interopérables. Les DME ne se parlent pas. Et, en plus, le dossier santé numérique s’en vient. Comment vont-ils tous s’intégrer ? »
Le temps presse néanmoins. « La mise en œuvre de l’apprentissage axé sur les données va aller très vite. Il va falloir que les parties collaborent. On perd beaucoup d’informations pertinentes à cause du travail en silo des différents acteurs. »
La question du financement va aussi se poser. « Ce changement prend de l’argent. Il faudra de nombreuses ressources humaines et matérielles, mentionne la directrice. Cependant, le principe derrière la formation axée sur les données est fantastique. »
Bibliographie
1. AMA [En ligne]. Precision education and the future of medical education ; 10 mars 2025 [cité le 12 mai 2025]. https://bit.ly/3Z3og8D.
2. Desai S, Burk-Rafel J, Lomis K et coll. Precision education : The future of lifelong learning in medicine. Acad Med 2024 ; 99 (4S suppl. 1) : S14-S20. DOI : 10.1097/ACM.0000000000005601.