
M.Q. – Les relations avec le gouvernement sont tendues. Comment voyez-vous le prochain accord-cadre ? |
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G.C. • Le prochain accord-cadre constituera un tournant important pour le système de santé québécois. Notre spécialité peut grandement aider le Québec à faire face au défi qu’est le vieillissement de la population. Grâce à notre expertise, nous avons la capacité de régler un ensemble de problèmes à meilleur coût. Grâce à notre vision globale et aux suivis longitudinaux, nous pouvons obtenir de meilleurs résultats et utiliser les ressources de façon plus pertinente. De plus, grâce à notre vaste champ de pratique, nous pouvons soutenir le système dans plusieurs de ses missions. Cependant, si le gouvernement persiste à ne pas vouloir investir dans notre spécialité, le Québec ne pourra pas bénéficier du plein potentiel de la médecine familiale. |
M.Q. – Que pensez-vous du projet de loi no 106 « sur la responsabilité collective et l’imputabilité des médecins quant à l’amélioration de l’accès aux services médicaux » ? |
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G.C. • Les médecins de famille ont leur part à faire, mais ne peuvent pas être responsables de la performance de l’ensemble du système de santé. Ils ne contrôlent d’ailleurs pas tous les éléments liés à leur propre rendement : l’accès aux examens diagnostiques, aux autres professionnels, aux autres spécialistes, etc. Si l’équipe autour d’eux n’est pas fonctionnelle, ils ne peuvent pas être performants. Par ailleurs, il serait inacceptable de pénaliser individuellement un médecin à cause de la situation de ses collègues. Si, dans une équipe de six médecins, deux sont en congé de maladie et une en congé de maternité, les autres ne peuvent être tenus d’offrir le service que fournissait l’ensemble du groupe. |
M.Q. – Quelles seront, à votre avis, les conséquences de cette mesure législative ? |
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G.C. • Elles seront extrêmement dommageables, parce que plutôt que d’instaurer un climat de collaboration où on peut bien cerner les problèmes et trouver des solutions, on crée un climat de confrontation. On se retrouvera dans un environnement de méfiance qui va rendre plus difficiles les changements à faire. |
M.Q. – Qu’avez-vous éprouvé en prenant connaissance du projet de loi no 106 ? |
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G.C. • Comme mes collègues, j’ai ressenti énormément de colère et de frustration. On ne peut pas croire qu’après avoir utilisé ce type de méthode pendant des années avec des résultats négatifs, les autorités ont décidé d’y recourir encore une fois. Je pense que c’est important de se mobiliser et de se battre contre ce projet de loi. Il faut sensibiliser la population et les députés et les informer de ses effets dommageables. On espère que le bon sens va de nouveau prévaloir. |
M.Q. – Quelles sont les conséquences du projet de loi sur la relation entre les médecins et le gouvernement ? |
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G.C. • Ce qui est décourageant, c’est le message que le gouvernement envoie. Il met tous les problèmes du réseau de la santé sur le dos des médecins, alors qu’ils ne sont qu’un des acteurs du système. Ainsi, plutôt que d’aider les médecins de famille, l’État continue à leur en demander plus. Il les pointe encore du doigt. L’environnement de travail ne sera pas plus intéressant que celui que l’on a en ce moment. On va faire fuir la relève et inciter des cliniciens en pratique à prendre une retraite précoce. Comme médecins de famille, nous avons le sentiment de ne pas avoir été écoutés. Le gouvernement ne s’est pas attaqué au bon problème. Il aurait dû travailler à rendre les conditions de travail intéressantes dans le système de santé public. |
M.Q. – Comment sortir de cette impasse ? |
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G.C. • La première chose est de changer la dynamique dans les relations entre les médecins de famille et le gouvernement. On a l’impression de faire affaire avec des gens qui ont de vieilles méthodes de gestion. Ils ne tentent pas de développer nos capacités ni de nous soutenir, comme les entreprises modernes le font. Ils utilisent la culpabilité, en demandent toujours plus. Ces méthodes ne fonctionnent pas. Deuxièmement, il faut être conscient que nous ne sommes pas assez nombreux. La pénurie de 2000 médecins de famille constitue le plus grand problème de la médecine familiale. Ainsi, même si les médecins s’épuisent à la tâche, les résultats ne seront jamais suffisants pour le gouvernement. |
M.Q. – Que suggérez-vous ? |
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G.C. • On obtiendrait de meilleurs résultats si le gouvernement était dans un mode de soutien : qu’est-ce qui vous aiderait à voir plus de patients ? Que peut-on faire pour que vous continuiez à pratiquer plus longtemps ? Je suis en général très optimiste concernant la médecine familiale, mais je pense que si l’environnement de travail ne s’améliore pas, il n’y aura pas davantage d’étudiants en médecine qui choisiront notre spécialité, même s’ils sont maintenant plus nombreux. En revanche, si le gouvernement croit vraiment en la médecine familiale et qu’il investit dans ce domaine, qu’il soutient les médecins de famille, ces derniers seront plus heureux au travail et mieux outillés pour répondre à la demande. |
M.Q. – Quel type DE CHANGEMENTS voyez-vous ? |
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G.C. • Un nouveau modèle d’organisation en première ligne pourrait potentiellement améliorer la situation. Dans un environnement de collaboration, ce système pourrait offrir, si les éléments nécessaires sont présents, un meilleur accès aux soins et redonner aux médecins de famille le plaisir de travailler. L’une des composantes importantes est un meilleur travail d’équipe. Il faut que les autres professionnels soient présents en nombre suffisant et de façon constante. Idéalement, il faudrait au moins l’équivalent d’une infirmière par médecin. Chaque professionnel de la santé (optométriste, pharmacien, dentiste, etc.) doit également être responsable de l’accès à ses propres soins. L’absence d’autres ressources ne doit pas être comptabilisée comme un manque d’accès aux médecins de famille. Il faut donc complètement réorganiser la première ligne pour travailler de façon plus optimale. |
M.Q. – Quelle serait la PART DE RESPONSABILITÉ du gouvernement ? |
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G.C. • On parle beaucoup de performance et de pénalités quand il s’agit des médecins. Cependant, il n’y a aucune conséquence lorsque le gouvernement ne tient pas ses engagements. Si les infirmières qu’il doit fournir aux GMF ne sont pas présentes, il n’y a pas de répercussions pour lui. De notre côté, nous devons travailler en double pour compenser ces absences et nous subissons des réductions de budget si nous ne respectons pas nos engagements. Le mécanisme des pénalités doit fonctionner dans les deux sens. |
M.Q. – Quelles autres solutions pourraient aider les médecins de famille ? |
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G.C. • Il est possible que des avancées technologiques amènent des solutions qu’on ne voit pas aujourd’hui. Il y a deux ans à peine, on n’aurait pas pensé que l’intelligence artificielle puisse se charger de la rédaction des notes médicales. Elle est maintenant utilisée par de plus en plus de médecins. L’avenir peut aussi réserver d’heureuses surprises. |