Questions... de bonne entente

Achat d'une clinique,
est-ce une bonne affaire ?

Michel desrosiers | 1 décembre 2025

Télécharger cet article

Reproduction, adaptation ou distribution du PDF interdite.

Des amis de longue date vous offrent de participer à l’achat d’une clinique médicale. Selon eux, avoir 
un médecin comme actionnaire dans l’entreprise rassurerait la banque. Que devriez-vous regarder ?

Le Dr Michel Desrosiers, omnipraticien et avocat, est directeur des Affaires professionnelles à la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec.

À l’approche du temps des Fêtes, un cadeau vous est offert, soit devenir investisseur dans une clinique médicale, un projet prometteur. Vos amis non médecins qui vous proposent l’affaire vous disent que votre participation rassurerait la banque qu’ils ont approchée pour l’obtention des fonds requis pour faire l’achat de la clinique et financer le fonds de roulement. Ils ajoutent que les risques sont faibles, car votre investissement dans l’achat de parts de la société par actions est faible. Il peut s’agir d’une occasion intéressante, tant que vous tenez compte de l’ensemble des éléments.

Le monde des affaires comporte son lot de défis et de surprises, sans compter un éventail de notions légales et réglementaires. Les entrepreneurs d’expérience ont habituellement une bonne connaissance de l’environnement légal, de la réglementation et des questions fiscales du domaine dans lequel ils exercent. Ce capital de connaissances croît généralement de pair avec l’augmentation de leurs avoirs. C’est moins vrai des médecins qui peuvent se constituer des avoirs importants sans accumuler un capital correspondant de connaissances du monde des affaires. Devenir entrepreneur peut donc exiger une mise à jour accélérée. Que faut-il avoir en tête ?

Évaluation financière

Il va sans dire que vous devrez effectuer une évaluation finan­cière, estimer les revenus projetés et les frais d’exploitation de même que leur évolution dans le temps. C’est un art en soi, et plusieurs conseillers pourront vous accompagner dans cette démarche (dont les Services cliniques des Fonds FMOQ). Ces projections vous permettront de connaître la rentabilité possible, le temps requis pour rembourser la dette contractée pour votre investissement, le cas échéant, et un prix raisonnable pour votre participation à l’entreprise.

C’est aussi l’occasion de regarder plus loin que la clinique et de s’intéresser à l’immeuble dans lequel elle sera située. La présence d’une clinique dans l’immeuble et la garantie qu’elle y sera plusieurs années peut faciliter la location des autres locaux à des entreprises, comme une clinique de radiologie, un laboratoire médical, une pharmacie, un gestionnaire de stationnement, etc. Le propriétaire de l’immeuble peut donc retirer des bénéfices de l’achalandage que crée la clinique médicale. Par conséquent, il peut être intéressant d’investir non seulement dans la clinique, mais aussi dans l’immeuble, ou à tout le moins de pouvoir influencer les décisions relatives à la gestion de ce dernier afin de s’assurer qu’elles sont prises dans l’intérêt de la clinique, et non seulement en fonction d’impératifs financiers. Les Fonds FMOQ ont d’ailleurs tout récemment mis sur pied un véhicule pour faciliter l’actionnariat des médecins dans l’immobilier médical. Ce peut être un élément additionnel à regarder.

À part la gestion de l’écosystème qui s’organise souvent au­tour, une clinique médicale n’est pas une entreprise comme une autre. Elle est sujette à une réglementation particulière qui peut parfois donner des résultats qui ne sont pas intuitifs.

Défis découlant de la forme d’association

Économiques et légaux

D’abord, il faut se soucier de la forme d’association de l’en­tre­­prise dans laquelle vous voulez investir : société en nom collectif, société par actions ou société en nom collectif à responsabilité limitée.

Les avantages de la société en nom collectif sont la simplicité et la transparence. L’ensemble des sociétaires s’associent dans l’entreprise et partagent les profits ou les pertes. Aux fins fiscales, tous les profits d’une année sont attribués aux sociétaires. L’attribution peut n’être que virtuelle, du fait que des fonds sont retenus pour les activités. Il peut alors en résulter une discordance entre les montants reçus et imposés. Un sociétaire peut donc être appelé à payer de l’impôt sur de l’argent qui lui a été attribué, mais qui ne lui a pas encore été versé, un peu comme la situation qui prévaut avec les intérêts d’un certificat de dépôt à intérêts composés avec un terme de plusieurs années où les intérêts sont imposables chaque année même s’ils ne sont reçus que la dernière année.

Une évaluation financière d’un projet d’investissement dans une clinique médicale est essentielle, mais pas suffisante en soi.

Mais ce petit irritant est mineur si on le compare au fait que les associés sont aussi responsables des dettes de la société et ont des obligations en ce qui a trait aux salaires non versés et aux retenues sur ceux-ci et sur les taxes perçues. Si la société faisait faillite, les associés devraient débourser les fonds manquants. Si certains des sociétaires sont mieux nantis que d’autres, ils pourraient devoir avancer l’argent seul, quitte à se retourner par la suite vers leurs cosociétaires pour leur réclamer leur part de la perte. Toutefois, le résultat est parfois incertain.

La société par actions est un moyen de contrer ce désavantage, ou du moins peut l’être. En principe, une société par actions est responsable de « ses » dettes, de façon distincte de la responsabilité de ses actionnaires. Contrairement à la société en nom collectif, la société par actions est une personne morale. Elle peut donc conclure des contrats, comme une vraie personne, emprunter, intenter des recours judiciaires, le tout en son nom.

Le risque de la responsabilité sans limite des actionnaires n’existe pas, du moins en principe. Dans les faits, les prêteurs vont souvent demander un engagement personnel aux actionnaires, particulièrement quand la société est peu capitalisée (les actionnaires ont avancé un montant modeste pour leurs actions, et les frais de fonctionnement proviennent d’emprunts) ou qu’elle a peu d’actifs (immeubles, machinerie ou matériel de valeur) à offrir en garantie en cas de problème. L’actif le plus important des cliniques est généralement les ententes qu’elles ont avec leurs locataires, soit les médecins. Ce n’est pas le genre d’actif qu’un prêteur peut facilement saisir et revendre à un tiers. À moins que les actionnaires n’aient avancé les fonds pour acheter l’immeuble dans lequel est située la clinique, il y a fort à parier que le prêteur (la banque) exigera des garanties de l’ensemble des actionnaires, ou du moins du ou des mieux nantis. C’est aussi ce que fait le propriétaire-locateur d’un immeuble quand il exige une caution des actionnaires de la clinique. Bref, on revient au problème de départ des sociétés qu’on cherchait à éviter, ou en bonne partie, car la responsabilité se limite au montant du prêt et possiblement aux engagements à long terme concernant le loyer, à l’exclusion du prix des fournitures avancées par les fournisseurs et des salaires impayés. Néanmoins, les actionnaires assument alors un risque personnel parfois important.

Si le médecin est en plus administrateur de la société par actions, il peut être tenu responsable des salaires impayés, des retenues qui devaient être effectuées sur les salaires, des cotisations de l’employeur et des taxes non versées. Donc, même sans engagement personnel, le médecin administrateur de la société assume une responsabilité qui va au-delà de sa mise de fonds.

Bref, si un prêteur a besoin d’être « rassuré » par la présence d’un médecin, c’est probablement parce que les investisseurs n’avancent pas beaucoup de leurs fonds propres dans l’entreprise et que le médecin risque d’être celui qui garantira le prêt. Si les investisseurs injectent des sommes importantes et que l’emprunt sert surtout à financer les frais de roulement, la banque sera rassurée par le fait que le médecin pourra faire les paiements sur l’emprunt et faire fonctionner la clinique en cas de désaffectation des médecins locataires. Nous y reviendrons.

En ce qui a trait à la société en nom collectif à responsabilité limitée, cette limitation vise seulement la responsabilité professionnelle. Si la clinique ne peut poser, à titre de personne morale, de gestes médicaux, le personnel de la clinique, lui, peut le faire. La clinique peut alors, comme employeur, être tenue responsable de leurs fautes. Il n’en reste pas moins que cette forme ne présente pas d’intérêt pour un médecin qui voudrait investir dans une clinique. En effet, elle ne présente pas d’avantages par rapport à la société en nom collectif et elle impose de respecter le règlement sur l’exercice en société, ce qui ne sera pas possible à moins que les sociétaires soient tous médecins. Le sujet est clos.

Déontologiques ou réglementaires

Il y a un autre problème à exploiter une clinique en société par actions lorsque les actionnaires ne sont pas tous médecins. Selon le Collège des médecins, plusieurs des activités d’une clinique sont des activités médicales (prise de rendez-vous, publicité, gestion du dossier clinique, facturation d’honoraires). De ce fait, la clinique constituée en société par actions dont l’objectif principal est d’exercer de telles activités doit répondre aux exigences du règlement du Collège sur la pratique en société par actions.

Lorsqu’un des investisseurs est médecin, il est tenu de s’assurer que la société respecte le règlement d’exercice en société par actions du Collège des médecins. Il ne peut pas prétendre ne pas avoir d’emprise sur les agissements de la société. La conséquence la plus immédiate est que des tiers non médecins ne peuvent pas détenir d’actions dans une société qui exploite une clinique médicale. Seuls des médecins ou leurs conjoints ou parents ou alliés peuvent détenir certaines actions, à l’exception d’une fiducie dont le ou les fiduciaires est médecin. Il est possible aussi d’avoir un cofiduciaire membre de certains ordres professionnels (notaire, avocat, comptable professionnel, administrateur agréé). De plus, seuls des médecins peuvent être administrateurs de la société. Bref, le contrôle de la société doit être exercé par des médecins seulement. C’est donc fondamental de valider cet élément avant de consacrer beaucoup de votre temps à l’évaluation d’une offre de participation à une société par actions.

Vous vous dites peut-être que vous connaissez plusieurs cliniques constituées en société par actions dont les actionnaires comprennent autant des médecins que des non-médecins ou qui sont constituées entièrement de non-médecins. Si le Collège devait appliquer plus rigoureusement son interprétation du règlement, ces cliniques pourraient avoir des surprises. Le Collège s’est récemment vu accorder les moyens d’intervenir auprès d’organismes de non-médecins qui exercent des activités médicales et ne manquera sans doute pas d’actualiser ses politiques.

Évolution de la réalité médicale

Votre réflexion chemine quand même ? Un autre élément mérite d’être pris en compte, soit l’évolution de l’environnement dans lequel travaillent les médecins, c’est-à-dire la rémunération et les changements récents à la possibilité d’être non-participant.

Rémunération

Le premier ministre s’est permis à plus d’une reprise à l’hiver et à l’été 2025 d’affirmer publiquement qu’il n’y aurait pas d’argent additionnel pour les médecins dans le renouvellement de leurs ententes. Ce n’est pas encourageant, quand on sait que l’évolution de l’indice des prix à la consommation depuis 2019 (dernier ajustement de la tarification) a été de plus de 20 % et que cet indice sous-évalue probablement l’évolution du prix des fournitures médicales et des salaires. Même s’il s’agissait de propos pour modérer les attentes, et non d’une position définitive, la question de l’inflation (tant l’inflation inattendue passée que celle attendue à l’avenir) a compliqué la négociation de plusieurs contrats de travail récemment. Devant la rareté de la main-d’œuvre et la concurrence pour retenir du personnel compétent, le risque que les honoraires des médecins ne suivent pas l’inflation constitue un défi pour les cliniques.

Cette réalité peut aussi limiter la facilité avec laquelle une clinique peut demander à ses locataires médecins d’assumer la croissance de ses frais d’exploitation. La réalité des cliniques en est une de concurrence entre les fournisseurs. Et certains peuvent choisir de survivre plutôt que de faire des profits. De plus, certaines cliniques appartiennent à des groupes de médecins qui y gagnent leur revenu. En temps de disette, ces derniers peuvent accepter d’exploiter la clinique à perte (tout en recevant des honoraires moindres) pour conserver le contrôle sur leur environnement de travail. Bref, ce ne sont pas tous les propriétaires de clinique qui raisonnent en fonction d’impératifs purement commerciaux. Si vous envisagez de vous joindre à un groupe d’investisseurs (par opposition à un groupe de médecins exploitants), vous devez être conscient de cet élément d’incertitude.

Non-participation

Certains peuvent vouloir contourner les contraintes sur la rémunération du système public en s’adressant à une clientèle de médecins non participants. Dans le passé, les médecins ont toujours pu devenir non-participants, moyennant un préavis de 28 jours. La loi prévoyait (et prévoit toujours) que le ministre pouvait obliger un médecin qui faisait une demande de non-participation à vraiment devenir désengagé pendant une période de 90 jours renouvelable lorsqu’il croyait que son départ compromettait l’accessibilité des services dans une spécialité, un secteur de pratique ou une région. Ce faisant, le médecin visé devait s’en tenir aux tarifs de la RAMQ. Le ministre peut aussi refuser à des médecins de devenir non-participants pour une période maximale de deux ans renouvelable. Il n’a jamais utilisé ces pouvoirs, malgré « l’exode des médecins » du système public dénoncé par les médias, en particulier des médecins de famille, depuis plus de quinze ans.

La réglementation du Collège des médecins sur les sociétés par actions, interdisant à des investisseurs non médecins d’en détenir des actions, peut s’appliquer à une clinique médicale constituée en société par actions.

Il faut dire qu’il y a d’autres obstacles liés à la non-participation ou du moins au fait de devenir temporairement non participant (perte de son avis de conformité au PREM, désinscription de l’ensemble de sa clientèle). C’est sans doute ce qui explique que la majorité des « départs » se sont faits dans la perspective d’un départ définitif du système public ou dès le début de la pratique dans le but d’y revenir plus tard et espérer pouvoir exercer dans la région convoitée.

Toutefois, depuis l’adoption du projet de loi 83, rétroactivement à la date d’ajout en commission parlementaire d’une mesure concernant la non-participation (1er avril 2025), les règles ont changé. Dorénavant, le médecin qui veut devenir non participant doit démontrer à Santé Québec que son « départ » ne nuira pas à l’accessibilité des services publics dans son secteur de pratique, sa région ou sa spécialité. Fin septembre 2025, toutes les demandes formulées par des médecins de famille qui avaient été traitées définitivement ont été refusées en raison du nombre de patients inscrits au guichet dans la sous-région de l’avis de conformité au PREM de ces médecins ou au niveau national, de la difficulté de boucler l’horaire de garde dans leur milieu de pratique en établissement ou dans le secteur visé par leur adhésion aux AMP. Bref, si la situation reste la même (pour l’instant, elle s’applique jusqu’à la fin mai 2027), un médecin de famille ne peut plus devenir non participant.

Enfin, si votre présence comme investisseur rassure la banque qui se dit que vous pourriez toujours exercer au sein de la clinique en cas de problèmes, si vous êtes médecin participant, vous ne pouvez pas tenir pour acquis que vous pourrez devenir non-participant pour ce faire. Si vous deviez « tenir le phare pour garder la clinique ouverte », il se pourrait que vous deviez le faire sans rémunération. C’est difficile de payer le loyer dans un tel scénario. Aussi bien dire que vous ferez les paiements en pigeant dans vos économies ou vos investissements.

Effets du projet de loi 2

Vous devez aussi tenir compte des effets possibles du projet de loi 2 adopté le 25 octobre 2025, , maintenant appelé loi 25. Plusieurs médecins ont annoncé leur départ dans la foulée de son adoption. Par ailleurs, le nombre de médecins en formation a augmenté. Il y a donc de l’incertitude quant au résultat net à court et à moyen terme.

La loi retranche une portion de la rémunération des médecins en cabinet, et le gouvernement avait annoncé son versement directement au milieu de soins par l'entremise d'un programme administratif à venir. Des annonces subséquentes ont suggéré un changement de cap, ajoutant à l’incertitude qui régnait au départ. Faire des prévisions financières devient donc difficile.

La loi prévoit également le retrait d'une partie de la rémunération des médecins, quitte à la leur reverser, collectivement par milieu de soins, en fonction de l’atteinte d’objectifs locaux, régionaux et nationaux. Ces changements provoquent une grande incertitude quant à la rémunération des médecins.

Si vous avez la fibre de l’entrepreneuriat, tant mieux. Il est pré­férable que des médecins jouent un rôle important dans l’orga­ni­sation de l’offre de service hors établissement que de laisser le terrain à des promoteurs, car les valeurs des médecins incluent une préoccupation pour la qualité des services, pas seulement pour la rentabilité. Et les groupes de médecins ont certains avantages par rapport à des groupes d’investisseurs, en particulier de pouvoir fonctionner à perte par temps difficile pour protéger leur environnement de travail.

Bref, il faut être conscient qu’on ne peut pas tenir pour acquis que l’expérience passée est un bon guide pour l’avenir et pour les risques particuliers des prochaines années. On dit que les occasions sont bonnes lors des temps difficiles, mais encore faut-il qu’on évalue bien les risques et qu’on se garde une marge de sécurité. Autrement, on peut aussi facilement y laisser notre chemise ou notre blouse.

Alors, assurez-vous de tenir compte de l’ensemble des éléments spécifiques aux cliniques. Il y a fort à parier que vous devrez être un investisseur actif, et pas seulement un investisseur passif qui offre une façade médicale rassurante au prêteur d’un groupe d’investisseurs non médecins. Gardez l’œil ouvert afin de vous assurer qu’on vous propose réellement un cadeau. À la prochaine !

Les annonces du gouvernement sur l'évolution de la rémunération, la difficulté de devenir non-participant et l'incertitude qu'a entraîné l'adoption du projet de loi 2 doivent être prises en compte dans les projections de loyer et de rentabilité d'un tel projet.