Réunie en une foule nombreuse et indignée, la profession médicale du Québec a tenu un rassemblement d'une ampleur sans précédent au Centre Bell, le dimanche 9 novembre. Plus de 12 500 personnes – médecins, résidents, étudiants ainsi que leurs familles – se sont mobilisées pour exiger du gouvernement Legault la suspension de la loi 2, perçue comme une menace sérieuse à la qualité des soins et à leur accès ainsi qu’à la liberté de pratique.
L’événement était organisé par les quatre fédérations médicales : la Fédération médicale étudiante du Québec (FMEQ), la Fédération des médecins résidents du Québec (FMRQ), la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) et la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ). Plusieurs intervenants ont qualifié le moment d’« historique » et de « grave », témoignant d’une profonde inquiétude pour l’avenir de la médecine.
Une loi jugée coercitive
Prenant la parole, comme les représentants des autres fédérations, le Dr Marc-André Amyot, président de la FMOQ, a dénoncé « une réforme coercitive et liberticide ». Cette dernière découragera la relève et précipitera le départ de nombreux médecins.
La loi 2 modifie profondément la rémunération des médecins en liant une partie de leur revenu à l’atteinte de cibles de performance fixées par le gouvernement et en prévoyant des sanctions en cas de manquement ou d’actions concertées.
Pour les fédérations, cette approche favorise la quantité au détriment de la qualité des soins et nuit à la relation médecin-patient. « On nous demande de pratiquer une médecine de volume, une médecine fast food », a lancé le Dr Amyot, s’opposant à un système géré par des tableaux Excel plutôt que par des humains. Les répercussions seront importantes. « Quand la médecine familiale s’affaiblit, ce ne sont pas les médecins qui en paient le prix, mais les patients et leurs familles. »
Des préjugés tenaces et un manque de respect
De son côté, la Dre Lyne Couture, présidente de l’Association des médecins omnipraticiens de Laurentides-Lanaudière, a rappelé la réalité du terrain : un déficit d’environ 2000 médecins de famille, un réseau sous-équipé et une population vieillissante. Elle a dénoncé une réforme qui « impose, surveille et sanctionne », sans offrir ni infirmières supplémentaires, ni soutien professionnel, ni reconnaissance.
La Dre Couture a aussi dénoncé les préjugés visant les femmes médecins, majoritaires en médecine familiale. « On entend qu’on serait à temps partiel, moins productives, trop payées. Ce ne sont pas des faits, ce sont des préjugés. », a-t-elle affirmé sous les applaudissements.
Un malaise profond sur le terrain
Plusieurs médecins venus au rassemblement vivent un véritable désarroi. Pratiquant à Québec, la Dre Rachel Bruneau, ancienne urgentologue aujourd’hui spécialisée en santé des femmes, s’occupe de patientes victimes de violence conjugale ou souffrant de douleurs chroniques. « Ce sont des consultations très chargées émotionnellement, dit-elle. Ce n’est pas le genre de rencontre qu’on peut expédier en dix minutes. » Pour elle, la loi 2 compromet directement la qualité de ces suivis. Bien qu’elle soit attachée à ses patientes, elle envisage de faire des études de deuxième cycle en sexologie et de travailler au privé. « Ce serait triste, parce que mon type de pratique est essentiel et que la demande est grandissante. »
Pour sa part, la Dre Suzanne Allaire, qui soigne des personnes âgées dans une résidence privée pour aînés, confie vivre une fin de carrière empreinte d’incertitude. « Cette loi n’a pas de bon sens. À mon âge, je ne peux pas tout recommencer pour deux ans de plus, explique-t-elle. Si je m’en vais, que vivront mes patients ? Ce sont des cas lourds. Ils ne veulent pas changer de médecin. »
Omnipraticien dans un GMF de la Rive-Sud de Montréal, le Dr Maxime Tétreault, lui, craint pour la pérennité du réseau : « Cette réforme est complètement déconnectée du terrain. On veut tout mesurer, tout contrôler, comme si la médecine était une chaîne de production », affirme celui qui est en réflexion sur la suite à donner à sa carrière.
Enfin, la Dre Lucie Brault, cheffe du GMF des Îles Percées, à Boucherville, dit avoir « la peur au ventre ». Après dix-sept ans à bâtir une clinique performante, elle redoute désormais de devoir effectuer la surveillance de ses collègues. « La loi fait de moi le ‘’père Fouettard” du GMF. Celle qui devra punir les autres. Ce n’est pas le rôle que je veux jouer. La médecine n’est pas une affaire de performance, c’est un art. »
Un appel au dialogue
Le message des fédérations est clair. Les médecins sont favorables à une révision en profondeur de leur mode de rémunération. « Mais elle ne doit pas aggraver le manque d’accès aux soins ni compromettre la qualité des services », a affirmé le Dr Amyot.
Cette grande réunion au Centre Bell se voulait un message retentissant pour les patients. Une démonstration leur assurant que les médecins continueront à se tenir debout pour eux et pour l'avenir d'une médecine humaine, disponible et fondée sur l'écoute. « Aujourd’hui, on vit un rassemblement historique, mais ce n’est pas la fin, ce n’est que le début », a lancé le Dr Vincent Oliva, président de la FMSQ, en promettant de maintenir la mobilisation.







