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Me Petra Kalinova est avocate au Service juridique de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec. |
Rappelons que la Loi agit sur deux volets majeurs. D’abord, les nouveaux médecins devront obligatoirement avoir exercé dans le réseau public pendant cinq ans avant de pouvoir solliciter une autorisation de non-participation. Dans le premier volet, le gouvernement peut également imposer aux étudiants et aux résidents en médecine, avant le début de leur formation ou de leur résidence, un engagement, assorti d’une pénalité financière en cas de non-respect, d’exercer la médecine au Québec pendant une période de cinq ans pour les étudiants et d’au plus cinq ans pour les résidents après la fin de leur formation médicale postdoctorale.
Le deuxième volet prévoit que tous les médecins devront dorénavant obtenir une autorisation préalable de Santé Québec pour devenir des professionnels non participants exerçant la médecine en dehors du régime public institué par la Loi. Le présent article porte sur ce deuxième volet de la Loi.
Avant l’entrée en vigueur de la loi, un médecin qui désirait devenir non participant n’avait qu’à transmettre un avis de non-participation à la RAMQ. Cet avis prenait effet de plein droit trente jours plus tard conformément à la Loi sur l’assurance maladie, sauf en cas d’intervention du ministre pour éviter que le départ du médecin ne nuise à l’accès aux soins dans le système public. Le ministre n’est toutefois jamais intervenu de cette façon concernant des médecins.
Depuis le 1er avril 2025, la Loi impose désormais au médecin l’obtention préalable d’une autorisation délivrée par Santé Québec pour se prévaloir du statut de non-participant. Ce statut ne découle donc plus d’une simple déclaration, mais bien d’une décision administrative. Ce régime d’autorisation est introduit pour une période temporaire de deux ans. Si l’autorisation est délivrée, elle n’est valide que pendant deux ans, sauf si Santé Québec en limite davantage la durée.
Le pouvoir décisionnel de Santé Québec est discrétionnaire et tient compte des orientations du ministre et de tout facteur que Santé Québec juge pertinent, en sus des éléments suivants prévus par la Loi :
- le nombre de médecins déjà non participants dans la région où le médecin entend exercer et le maintien de la continuité des services médicaux assurés selon des conditions uniformes ;
- les conséquences que pourrait avoir l’autorisation sur la qualité et l’accessibilité des services médicaux assurés ;
- la capacité à mettre à contribution le médecin pour améliorer la qualité et l’accessibilité des services assurés ;
- le fait que le médecin est le seul ou non à offrir un service médical assuré dans la région où il exerce.
Comment déposer une demande pour devenir non participant ?
Le médecin souhaitant devenir non participant doit faire une demande à Santé Québec à l’aide du formulaire prévu à cette fin sur son site Web (https://bit.ly/formulairenon-participation) et y inclure tous les éléments demandés. Il doit notamment y exposer les motifs de sa demande. Idéalement, il y présentera tous les arguments pertinents, y compris des éléments militant en faveur de l’autorisation (ex. : les patients du médecin ne resteront pas sans suivi médical).
Toutefois, comme en témoignent les refus de Santé Québec jusqu’à présent, ainsi que la première décision judiciaire rendue dans ce contexte (voir ci-dessous), force est de constater que Santé Québec ne semble considérer aucun élément propre à la situation individuelle du médecin. L’organisme semble tenir compte strictement des critères relatifs à la couverture médicale du territoire concerné et des besoins populationnels en matière de médecine familiale, notamment en ce qui concerne la prise en charge.
Ainsi, une conversation avec votre DTMF pourrait vous être utile pour obtenir des données d’accès spécifiques à votre territoire : niveau du GAMF, PREM pourvus, nombre de médecins ayant un profil de pratique semblable au vôtre, AMP prioritaires, etc.
Quels sont les critères pris en considération par Santé Québec en médecine de famille ?
Comme nous l’avons mentionné précédemment, Santé Québec doit tenir compte des orientations déterminées par le ministre et de tout facteur qu’elle juge pertinent. Ses décisions sont discrétionnaires et doivent s’appuyer notamment sur les critères prévus à la Loi énumérés précédemment. Plus précisément, Santé Québec a informé la FMOQ qu’elle utilise actuellement les facteurs d’analyse indiqués dans l’encadré pour les demandes de non-participation en médecine de famille (à jour au 1er août 2025)1.
À la lumière de l’application de ces critères par Santé Québec, il est manifeste que, dans le contexte actuel, le processus d’autorisation équivaut pratiquement à une interdiction pour les médecins de famille du Québec de devenir non participant. Un résultat pour le moins curieux, quand le ministre prétend, dans les médias comme dans les négociations, qu’il ne manque pas de médecins de famille au Québec, malgré ses propres statistiques sur l’écart par rapport aux besoins.
Quels sont les délais de traitement ?
Santé Québec vise un délai de traitement du dépôt de la demande jusqu’à la décision définitive de trente à quarante-cinq jours. Si Santé Québec entend refuser la demande d’autorisation, elle doit émettre un préavis de refus et donner dix jours au médecin pour présenter des observations additionnelles. Après réception des observations du médecin ou à l’expiration de ce délai, Santé Québec vise à produire sa décision définitive dans un délai n’excédant pas cinq jours2.
Quelles sont les chances de succès ?
Selon les critères actuels, les chances d’un médecin de famille d’obtenir l’autorisation sont quasi nulles, pour ne pas dire totalement nulles. Au moment de la rédaction du présent article (à jour au 1er août 2025)4, toutes les demandes de non-participation formulées par les médecins de famille pour lesquelles une décision a été rendue ont été refusées, à l’exception de deux autorisations temporaires de trois mois accordées pour permettre à Santé Québec d’analyser les demandes déposées dans un délai trop court avant la date d’entrée en vigueur demandée.
Dans l’un de ces cas d’autorisation temporaire, Santé Québec a finalement refusé d’accorder une autorisation permanente. De plus, conséquence particulièrement regrettable pour ce médecin, en devenant temporairement non-participant, il a perdu son avis de conformité au PREM, et tous ses patients ont été désinscrits. Après ce refus définitif, il devra obtenir un nouvel avis de conformité pour réintégrer le système public et réinscrire ses patients au fil des visites, sauf si le comité paritaire en décide autrement.
Une première décision judiciaire sur un refus d’autorisation
Une première décision judiciaire concernant un refus d’autorisation par Santé Québec a été rendue par la Cour supérieure le 18 juillet 20255. Il s’agissait d’une demande en injonction interlocutoire provisoire, un remède exceptionnel permettant au tribunal d’ordonner temporairement la suspension ou l’exécution de certaines mesures en attendant une décision sur le fond. Le fardeau de la preuve applicable est ainsi élevé : le demandeur doit notamment démontrer une forte apparence de droit, un préjudice sérieux et irréparable et une prépondérance des inconvénients (balance des inconvénients) nettement en sa faveur.
Contexte de l’affaire
Le Dr Hazan, médecin de famille ayant exercé en milieu hospitalier dans l’Outaouais, souhaitait quitter le régime public afin de devenir directeur médical d’une clinique privée pour y pratiquer en consultation pour des urgences mineures. Sa demande d’autorisation a été rejetée par Santé Québec en invoquant les risques de réduction de l’accessibilité aux soins dans une région déjà vulnérable. Le Dr Hazan soutenait que son retrait aurait peu de conséquences, puisqu’il n’avait plus de patientèle inscrite et que son remplacement était planifié par l’équipe d’urgence locale.
Processus décisionnel de Santé Québec
Le jugement fournit un éclairage additionnel sur le processus décisionnel interne mis en place par Santé Québec pour traiter les demandes d’autorisation. Une fois la demande reçue, elle est transmise à un comité d’évaluation interne composé notamment du vice-président adjoint à la gouvernance, de la directrice médicale responsable de la médecine familiale, de la directrice des soins primaires intégrés, d’un directeur médical en médecine spécialisée et d’une conseillère juridique. Le comité sollicite également l’avis des directions médicales et des directions des services professionnels des établissements de santé locaux.
- le portrait régional des effectifs médicaux produit par le DTMF ;
- le taux de patients orphelins dans la région concernée ;
- la couverture du PTEM et des AMP ; 8 l’objectif ministériel en matière d’inscription de la population à un médecin de famille (qui était de 87 % en 2025-2026) ;
- l’écart entre le nombre de médecins requis et le nombre de médecins actuellement disponibles.
Motifs du rejet par le tribunal
Le juge a malheureusement rendu une décision défavorable au Dr Hazan. Bien qu’il reconnaisse l’urgence de la situation et que le litige soulève des questions sérieuses, il conclut que le niveau de preuves requis pour ce type d’injonction n’est pas atteint. Plus précisément, le juge est d’avis que :
- le Dr Hazan n’a pas démontré une forte apparence de droit, en l’absence d’irrégularités manifestes ou de preuves indépendantes remettant en cause la démarche structurée de Santé Québec ;
- le préjudice allégué est de nature essentiellement financière et organisationnelle et ne répond donc pas aux critères requis pour un préjudice sérieux et irréparable ;
- la prépondérance des inconvénients ne penche pas en faveur du demandeur. Le refus de Santé Québec repose sur un pouvoir discrétionnaire conféré par la Loi dans un contexte où l’accessibilité aux soins dans la région est déjà compromise.
Il faut néanmoins garder à l’esprit que le véhicule procédural particulier rend le fardeau de la preuve plus exigeant. Il sera intéressant de suivre l’affaire, le Dr Hazan ayant annoncé son intention de déposer un pourvoi en contrôle judiciaire.
Il est à prévoir que d’autres contestations judiciaires suivront. La Fédération suit de près l’application de la Loi favorisant l’exercice de la médecine au sein du réseau public de la santé et des services sociaux par Santé Québec. N’hésitez pas à communiquer avec la Fédération pour tout renseignement additionnel que vous souhaiteriez obtenir au sujet de cette loi.
Bibliographie
1. Santé Québec. Présentation de Santé Québec : Bilan des travaux du comité de travail – Processus d’analyse des demandes de non-participation au régime d’assurance maladie du Québec dans le cadre de PL 83, 17 juin 2025. Québec : Santé Québec ; 2025.
2. Hazan c. Santé Québec, 2025 QCCS 2555
